[MUSIQUE] Bonjour. Aujourd'hui, j'ai choisi de vous expliquer deux mots, que vous avez entendus dans la partie compréhension orale, le verbe muter, rencontré à l'occasion de la séquence du film Bienvenue chez les Ch'tis et dans celle d'expressions orales lorsqu'Isabelle vous a expliqué ce qu'était un alexandrin. On va donc parler déménagement, mais aussi poésie. Alors commençons par le verbe muter. Il apparaît dans la langue française au XVe siècle, par emprunt au latin mutare, qui signifiait changer. En fait, ce verbe latin a aussi donné en français le verbe muer, c'est-à-dire changer sa mue, se transformer. Il y a donc bien dans ces deux verbes d'origine identique, l'idée de mouvement, de changement, de transformation. Le sens précis de muter relève du domaine professionnelle. Monsieur Bertrand, agent de la fonction publique, s'est fait muter dans le sud de la France. On comprendra que Monsieur Bertrand a fait une demande de mutation pour changer son lieu de travail et que celle-ci a été acceptée par l'administration. Mais entendez-vous d'ailleurs la nuance entre se faire muter et être muté? Prenons les exemples suivants. Monsieur Durant s'est fait muter dans le sud de la France. Monsieur Durant a été muté dans le sud de la France. Eh bien, la différence est ténue, mais dans le deuxième cas, il est fort probable que la mutation n'ait pas été demandée, alors que dans le premier cas, son origine est sans doute lui-même. Pour terminer, vous connaissez peut-être l'expression latine que l'on utilise en français, mutatis mutandis, elle signifie les choses qui devaient être changées ayant été changées, littéralement. C'est-à-dire en somme, une fois effectués les changements nécessaires. On explique que l'on va rapprocher deux situations analogues à en modifiant les détails par exemple. Eh bien, le mot mutatis, dans l'expression mutatis mutandis, à l'ablatif, provient de mutatus, changer, modifier. Il est de la même famille que notre verbe muter. Passons sans transition, si vous le voulez bien, à l'alexandrin. Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes? S'exclame Isabelle dans la partie d'expressions orales, reprenant ainsi un célèbre vers de Racine extrait d'Andromaque. Eh bien, c'est en fait évidemment Oreste qui prononce ces douze syllabes qu'en poésie on appelle un dodécasyllabe ou un vers dodécasyllabique. Cela vous paraît un peu compliqué, ne partez pas, je reprends. En poésie, et singulièrement en poésie française, vous avez plusieurs types de vers, on parle de métrique syllabique. Je vous en donne quelques uns des plus connus. Le vers composé de huit syllabes, par exemple, est appelé octosyllabe, à partir du mot grec okto, qui donne aussi en latin octo, signifiant huit. Il va servir de préfixe à de nombreux termes, un octogone est un polygone de huit côtés, un octogénaire est une personne âgée de 80 à 89 ans, etc. Donc l'octosyllabe est un vers composé de huit syllabes en poésie. Je vous en donne un exemple célèbre, daté du XVIe siècle et composé par Pierre de Ronsard et en fait je ne résiste pas à l'envie de vous lire le poème en entier, il s'intitule À Cassandre. Mignonne, allons voir si la rose, qui ce matin avait déclose, sa robe de pourpre au soleil, à point perdu cette vesprée, les plis de sa robe pourprée, et son teint au vôtre pareil. Las! Voyez comme en peu d'espace, mignonne, elle a dessus la place. Las! Las! Ses beautés laissé choir! Ô vraiment marâtre Nature, puisqu'une telle fleur ne dure, que du matin jusques au soir! Donc, si vous me croyez mignonne, tandis que votre âge fleuronne, en sa plus verte nouveauté, cueillez, cueillez votre jeunesse : comme à cette fleur la vieillesse, fera ternir votre beauté. Vous avez remarqué que tous les vers ont le même nombre de syllabes, huit. Le poème est donc écrit en vers octosyllabiques. Certains vers, très courus aussi au Moyen Âge et au XVIe siècle, sont dits décasyllabiques, ils ont donc dix syllabes. Pour illustrer le vers décasyllabique, j'ai choisi la première strophe d'un poème très connu de Paul Valéry, Le Cimetière Marin. Ce toit tranquille, où marchent des colombes, entre les pins palpite, entre les tombes; midi le juste y compose de feux, la mer, la mer, toujours recommencée! Ô récompense après une pensée, qu'un long regard sur le calme des dieux! Et enfin, nous y voilà, certains sont des dodécasyllabes, c'est-à-dire qu'ils ont douze syllabes, dodéca signifiant douze en grec. Quels démons, quels serpents traîne-t-elle après soi? Hé bien! Filles d'enfer, vos mains sont-elles prêtes? Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes? Vous avez bien compté, douze syllabes rythment bien chacun des trois vers de l'extrait d'Andromaque que je viens de lire. Mais pourquoi diable, pourquoi le dodécasyllabe a-t-il un nom spécifique que l'on nomme alexandrin? Alors que tous les autres sont exprimés par un mot savant, octosyllabe, décasyllabe, etc. C'est en réalité que cette forme métrique n'était pas beaucoup utilisée au Moyen Âge, on lui préferait d'ailleurs le décasyllabe pour raconter des histoires et en fait, le premier texte français, à avoir été écrit en vers dodécasyllabiques, est le Roman d'Alexandre, c'est son titre, qui est une réécriture des exploits d'Alexandre le Grand. Le mot alexandrin est donc directement créé, plus tardivement bien sûr, pour désigner cette forme nouvelle de versification, c'est-à-dire le vers à douze syllabes. Si le Moyen Âge ne l'a pas beaucoup utilisé, il deviendra au siècle classique, chez Molière, chez Racine, chez Corneille et bien plus tard jusqu'au XXe siècle le mètre syllabique le plus répandu. Vous avez tout compris. Mais qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes? À bientôt!