[MUSIQUE] [MUSIQUE] Les violences de genre sont majoritairement des violences faites aux femmes, et la question qui s'ensuit est donc de savoir ce qu'il en est des violences commises par les femmes. Est-ce qu'elles seraient incapables de violences comme on les présente souvent, douces, gentilles, attentives, aimantes, ou est-ce qu'elles seraient au contraire pires que les hommes, elles seraient cruelles, elles seraient plus violentes? J'ai avec moi pas Skype Geneviève Pruvost qui est sociologue, qui est chargée de recherche au CNRS et qui a édité avec Coline Cardi un ouvrage qui traite de cette question, intitulé Penser la violence des femmes. Geneviève Pruvost, bonjour. Est-ce que vous pouvez nous dire en quoi les violences exercées par les femmes sont également structurées par des rapports de genre? >> Déjà, le premier problème, c'est de savoir comment définir la violence, et du coup, c'est évidemment un casse-tête pour les philosophes, les sociologues. Et donc, en ce qui nous concerne, on a essayé de définir la violence par ce qui est qualifié comme violence. Et c'est là qu'évidemment le genre intervient, puisque les opérations d'enregistrement et de qualification de la violence sont complètement reliées à un état des rapports sociaux de sexe à un moment donné qui font que par exemple des violences exercées par les femmes ne sont pas codées comme violences parce qu'elles paraissent inconcevables pour une époque donnée. Voilà. Sinon, l'autre point très important pour reprendre l'introduction sur est-ce qu'elles seraient plus violentes ou moins violentes, la grande question qu'on peut se poser sur le plan historique, c'est comment se fait-il qu'il y avait plus de femmes incarcérées au XVIIIe siècle qu'au XXIe siècle. Donc, il y a vraiment par exemple là typiquement un élément d'effacement de toute une population incriminée et qui est lié justement en partie à cette construction sociale de la femme comme douce et qui, loin de diminuer au cours des siècles, au contraire, se serait accru. C'est-à-dire qu'aujourd'hui, on n'imagine pas la femme émeutière en train d'haranguer la foule, révolutionnaire. On les compte vraiment quand il y a des émeutes urbaines alors que c'était vraiment une norme sous l'Ancien Régime. >> Donc, ce que vous nous dites en fait, c'est que les violences des femmes sont à la fois moins visibles, mais qu'elles sont aussi moins tolérables. >> Elles sont moins visibles, tout simplement, il y a des opérations judiciaires et policières d'enregistrement. Pour vous donner quelques exemples, quand il y avait des femmes émeutières, ce qui était extrêmement fréquent, et en effectif conséquent des émeutes de la faim ou des émeutes vivrières du XVIIe et du XVIIIe siècle, tout simplement, les policiers les arrêtent moins. Et une fois qu'elles sont arrêtées, elles se défaussent en expliquant qu'elles étaient là par hasard. Donc, c'est un point qu'on retrouve dans tous les procès de femmes violentes qui fait que soit elles vont dire qu'elles étaient influencées par un homme ou sous tutelle, ou alors que c'est une forme d'erreur judiciaire. Donc là, il y a un processus d'invisibilisation au moment de l'enregistrement des faits. Et puis après, il y a un autre processus d'invisibilisation qui est beaucoup plus discret, qui est tout simplement des formes plus invisibles d'exercice de la violence des femmes et qui se logeraient au cœur de la famille notamment, et qui font qu'elles ne sont pas nécessairement perçues. Pour vous donner un exemple assez extrême, on pense aux incestes féminins, et avant de trouver des cas d'incestes féminins, il faut pas exemple dans les archives du XIXe siècle aller voir les attentats à la pudeur ou de complicité d'attentat à la pudeur pour déceler des figures féminines de ce type, dont on sait pourtant qu'elles existent. Donc, il y a vraiment tout un travail de sources et d'éclaircissement des sources pour trouver les bons lieux, pour lire entre les lignes, qui évidemment accentue l'invisibilisation de ce phénomène. >> Alors, vous disiez tout à l'heure qu'aujourd'hui, finalement, les femmes sont moins incarcérées que par le passé, alors >> quel est le traitement qui est fait de ces violences des femmes? >> Le traitement à quel niveau? Policier, judiciaire... >> Peut-être que vous avez différents exemples à ce propos. >> Elles sont moins incarcérées. Alors, oui, la question principale, c'est, où sont les femmes? C'est à dire qu'elles ne seraient pas tout d'un coup devenues absolument moins violentes. Mais là, on assiste à un autre élément qui contribue à leur invisibilisation, c'est-à-dire qu'on va psychiatriser la violence des femmes. On va la mettre du côté de l'hystérie ou du côté d'un problème psychologique et donc d'une pathologisation, ce qui fait qu'aujourd'hui, on assiste à un plus grand traitement médicamenteux par exemple de la délinquance des filles que des garçons. Pour donner encore un autre exemple d'une sorte de déni de violence ou de délinquance des filles, c'est la manière dont en prison, elles vont par exemple faire de l'automutilation qui est une vraie révolte contre l'institution carcérale et qui va être considérée comme un problème psychiatrique, pathologique, et absolument pas comme un élément de révolte. Donc là encore, la camisole chimique empêche de regarder frontalement les violences qui chez les hommes sont reconnues. >> Et donc, d'après vous, finalement, ces violences qui sont traitées différemment parce qu'elles ne sont pas considérées de la même façon seraient finalement simplement invisibilisées ou elles seraient quand même moins nombreuses? >> Alors en fait, il y a un double mouvement. C'est-à-dire que quand il y a une éruption de cette violence des femmes, elle va être occultée, parfois elle va être mise carrément hors cadre parce que comme elles sont impensables, on ne va même pas essayer de les traiter. Ou alors, elles vont être exceptionnalisées. C'est-à-dire que ça va être l'exception qui confirme la règle, cette sorte de monstre qui surgirait, et du coup, on va voir des grandes figures de femmes violentes, dangereuses, nocives qui vont être mises sur la sellette, mais qui vont du coup effectivement occulter toutes les violences ordinaires. >> Et donc, du coup, cette représentation assez répandue que quand elles sont violentes, elles sont d'autant plus violentes est liée aussi justement à cet étiquetage qu'on a et cette compréhension qu'on a des violences et qui varient effectivement selon les époques et selon les contextes. >> Il y a vraiment, chaque crise par exemple politique ou chaque époque a ses figures de femmes extrêmes, l'empoisonneuse, ensuite on va avoir les tricoteuses révolutionnaires pendant la Révolution française. Ensuite, on aura les pétroleuses. Donc on a toujours des figures comme ça exemplaires qui renvoient à l'imaginaire même de la sorcière aussi pour chaque époque. Mais toutes ces violences-là, toutes ces figures d'expression exacerbée en fait d'un pouvoir féminin extrêmement menaçant pour l'ordre du genre, c'est aussi une manière d'occulter des violences beaucoup plus ordinaires qui pour le coup sont extrêmement fréquentes. Et là, il faut tout simplement penser à la mère battant ses enfants qui faisait absolument partie d'une scène ordinaire de famille. On remonte dans le passé avec des châtelaines qui vont battre leur gendre avec des violences totalement tolérées, y compris dans la sphère du travail. On ne peut pas imaginer que les apprentis étaient nécessairement bien traités. Voilà. Donc, c'est toute cette singulière opposition entre d'un côté une violence exceptionnelle et de l'autre des femmes douces, alors qu'il y a tout un nuancier et un spectre et un répertoire assez important des violences exercées par les femmes. Après, la question est, quelles sont celles qui vont être mises en lumière et celles qui vont être reléguées en arrière-plan ou carrément placées dans les oubliettes. >> Peut-être pour revenir à la question justement des rapports de genre, vous insistez dans l'introduction de votre ouvrage avec Coline Cardi sur le fait que ça représente aussi quelque chose, ces représentations des >> violences des femmes nous disent quelque chose aussi sur l'accès au pouvoir. >> Tout à fait. C'est-à-dire, ce qui était très intéressant dans le livre collectif qu'on a fait, là je ne me fais que l'écho de toutes les contributions vraiment passionnantes de l'ouvrage Penser la violence des femmes, il y a un élément transversal qui est apparu qui est le lien entre l'accès à la citoyenneté et l'accès au pouvoir de violence. Et justement, on a beaucoup travaillé cette question-là pour la colonisation, l'accès des colonisés à une citoyenneté pleine et entière ou à l'indépendance. Et il se trouve que si on adopte ce prisme pour regarder la situation des femmes, on se rend compte que d'un côté le droit de vote, le droit d'intégrer légalement et pleinement le pouvoir armé de l'État qui est donc la police d'un côté et puis les forces militaires de l'autre, on se rend compte que l'exclusion des femmes de ces fonctions guerrières, étatiques sont absolument à mettre en lien avec leur exclusion d'une citoyenneté pleine et entière, ce qui d'ailleurs nous a fait beaucoup réfléchir sur le lien fort qu'il pourrait y avoir entre démocratie et citoyenneté militaire. Puisqu'on voit bien que les femmes sont vraiment citoyennes pleines et entières à partir du moment où elles accèdent à ces fonctions-là. Donc le pouvoir, ça ne concerne pas simplement le droit de s'exprimer dans des assemblées élues, mais c'est aussi le droit d'accéder à toutes les opérations, les fonctions de sanction et de défense et de protection des sociétés. Voilà, c'est des vraies fonctions anthropologiques, et évidemment il y a eu un tabou, on dirait. En tout cas ça a été une lutte très complexe à mener pour les féministes, parce que c'était assez périlleux en fait de revendiquer un accès à des fonctions guerrières qui incarnent en même temps le pouvoir patriarcal dans ce qu'il a de plus terrible. Donc là, on avait vraiment quelque chose d'extrêmement problématique, mais voilà le féminisme d'État a aussi porté cette lutte. >> Voilà, peut-être un dernier mot pour conclure sur la façon >> dont on étiquette et donc dont on comprend les violences des femmes? >> Alors un dernier mot, c'est que penser la violence des femmes, ça fait réfléchir sur l'ordre du genre en fait dans les sociétés. Ça montre à quel point les sociétés s'organisent autour de la désignation d'un groupe de personnes plus ou moins mineures qu'on pourrait appeler les femmes, et donc qui ne seraient pas capables d'user de violence, alors même que la violence est au principe de l'accès au pouvoir et de se maintenir dans le pouvoir. Et donc ce qu'on a essayé de mettre en évidence, ce n'est pas tant que les femmes soient exclues du pouvoir de la violence, parce que des figures de femmes violentes il y en a dans toutes les périodes historiques. C'est plutôt, le tabou maximal c'est qu'un groupe de femmes organisé soit capable de se maintenir durablement au pouvoir par la violence, c'est-à-dire le fameux mythe des amazones. Et donc ça par contre, on touche quelque chose d'assez, une sorte de socle sur lequel on a du mal à creuser parce que, autant de figures isolées ou des duos de femmes amazones on en trouve, mais une société de femmes organisée autour de l'exercice de pouvoir de violence, ça c'est difficile à imaginer, y compris dans les fictions. C'est ça qui est assez exceptionnel, c'est à dire y compris dans les représentations fictionnelles, on n'arrive pas à trouver ces hordes de femmes, alors qu'on trouve à la pelle des hordes d'hommes. Voilà, donc ça, ça fait partie des éléments qu'on a pu mettre en lumière dans notre ouvrage. >> Geneviève Friveau merci beaucoup de nous avoir donné toutes ces explications sur la façon dont on peut comprendre les violences commises par les femmes. [MUSIQUE] [MUSIQUE]