[MUSIQUE] [MUSIQUE] Cette séquence est consacrée à l'apartheid, l'apartheid sud-africain. Alors, de quoi s'agit-il? L'apartheid sud-africain c'était un système spatial de séparation ethnique et de domination raciale dérivé de la colonisation. Il s'instaure en 1948, avec la victoire du parti national, qui était supporté principalement par la communauté afrikaner. Il était basé sur un ensemble de lois, de règlements qui mettait en place un zonage inégalitaire et imposait de l'espace en lien avec le système politique de domination raciale et ethnique. C'est aussi un système d'exploitation de la force de travail, de la main d'œuvre issue de la population d'origine africaine dans les mines, dans les domaines agricoles et dans l'industrie. Et on va voir que ça fonctionnait avec une circulation de la population, mais une circulation limitée et encadrée de celle-ci. Il faut voir également que l'apartheid sud-africain fonctionnait à la base avec une catégorisation de la population, principalement en deux groupes opposés et hiérarchisés. Il y avait d'un côté le groupe dominant, celui des populations d'origine européenne, appelé dans la terminologie de l'apartheid, blancs ou Européens. Et puis le groupe largement majoritaire, mais dominé, qui était celui constitué par les populations d'origine africaine, appelé noirs ou indigènes. Il y avait également deux catégories intermédiaires bénéficiant de quelques droits par rapport aux populations d'origine africaine, il s'agissait des coloureds, des métisses, et puis des indiens. Alors, les coloureds ou métisses étaient des populations de parler Afrikaans, donc une langue d'origine européenne, et puis les indiens étaient une population de langue anglaise, également langue d'origine européenne. Ces deux groupes bénéficiant de quelques droits supplémentaires. Alors, on parle de l'apartheid sud-africain, on en parle généralement comme un tout, un ensemble, mais il faut voir qu'il est constitué en fait de trois pratiques, de trois apartheids qui fonctionnaient chacun à des échelles différentes. On a d'une part l'apartheid mesquin, dit petty apartheid, dans la terminologie du régime, qui définissait un usage restrictif et différencié à l'espace public sur base raciale. On avait d'autre part l'apartheid urbain, qui lui, configure les agglomérations urbaines, en affectant aux citadins des aires particulières, hiérarchisées et exclusives selon les groupes raciaux, toujours définis par le régime. Enfin on a le grand apartheid, pseudo-tentative, on va le voir, de décolonisaton, avec les bantoustans qui étaient dédiés aux différentes ethnies et qui étaient issus du système colonial de réserves indigènes. Donc vous voyez référence à la race d'une part et à l'ethnie d'autre part, pour trois apartheids différents, distingués à trois échelles différentes. Alors, l'apartheid mesquin, on y revient brièvement, celui qui régit l'accès séparé à l'espace public et qui fonctionne donc à l'échelle locale. Alors, il faut bien voir que ce n'est pas une spécificité sud-africaine dans la mesure où c'est des pratiques qui ont existé ailleurs, notamment dans les colonies de peuplement d'origine européenne. On pense évidemment aux États-Unis, au sud des États-Unis où ce type de pratique a fonctionné jusqu'à l'avènement des droits civiques pour les populations d'origine africaine. On connait le fameux épisode de la révolte de Rosa Parks vis-à-vis de ce type de pratique. En Afrique du Sud, ça a été appliqué de manière systématique dans les transports, les services publics, les espaces publics, y compris ceux de loisir tels que les parcs ou les plages. Ensuite on a l'apartheid urbain, celui qui régit la ville d'apartheid avec ses quartiers ségrégués que l'on appelle les townships. Alors, de quoi s'agit-il quand on parle de townships? Il existait déjà à l'époque coloniale des quartiers réservés aux populations d'origine africaine, on appelait ça les locations. L'apartheid urbain va se développer durant une période de forte croissance urbaine, en systématisant les principes ségrégatifs et notamment en affectant des quartiers réservés à chaque groupe de population et donc les fameux townships pour les populations d'origine africaine, mais aussi les coloureds et les indiens. Les townships sont des quartiers ségrégués, séparés de la ville privilégiée par une zone tampon qui constitue un espace vide ou occupée éventuellement par certaines infrastructures de transport, voire par des infrastructures minières. Ces townships sont constitués d'un habitat pauvre qu'on appelle les matchboxes dans la mesure où elles sont toutes pareilles et de dimensions assez réduites, mais un habitat qui est quand même organisé et équipé, pauvrement, mais organisé et équipé, plus proche, si vous voulez, d'un certain habitat ouvrier européen que des bidonvilles. Mais c'est surtout l'affectation obligatoire des populations dominées à ces espaces et l'existence d'un système de base qui limite l'accès au reste de la ville, qui en fait en fait un espace de relégation et un espace d'enfermement dans la pauvreté. Alors, le modèle de la ville d'apartheid est donc le suivant. On a deux parties distinctes, la ville privilégiée versus la ville majoritaire, celle de la relégation, des townships, les deux séparées par une ville tampon, comme vous voyez sur le modèle qui apparaît. Donc d'un côté le Central Business District, les activités du centre avec sa skyline très particulière, plus les banlieues, les suburbs réservés aux populations européennes, les populations privilégiées. Et puis de l'autre les townships et après, à la suite, si vous voulez, de l'établissement des townships, les prolongements sous forme de shacks, de cabanes, de bidonvilles qui se sont développés lorsque l'accès aux townships a été limité ou que l'on a tenté d'expulser leurs occupants. Alors, Graaf Reinet qui apparaît à l'écran est une petite ville dans le Karoo, qui est un bon exemple de l'organisation spatiale de la ville d'apartheid. On a la ville privilégiée d'origine coloniale, qui se trouve dans le méandre, donc qui a un accès privilégié à l'eau et à la végétation arborée dans un environnement aride, c'est évidemment un privilège. On y voit aussi un parcellaire large et puis des éléments de centralité. Et puis à l'extérieur de ce méandre, séparé de ce quartier central, on a les deux townships, un pour les africains, un pour les métisses, qui se trouvent donc à l'extérieur dans un environnement nettement moins hospitalier et construit de petites maisons qui ont été progressivement aménagées et appropriées. Les équipements sont également différents. On distingue par exemple des tours de lumière qui sont protégés et qui permettaient un éclairage public à bas coût, assurant une surveillance nocturne des populations, ceci dans le township. Pour finir on a le grand apartheid qui vient plus tard, qui fonctionne à l'échelle des provinces et qui repose cette fois sur une catégorisation ethnique et non plus raciale de la population d'origine africaine. Alors, il faut voir que celui-ci s'est développé dans le contexte des années 50, qui était celui de la décolonisation ou de l'amorce de la décolonisation sur le continent africain et que le régime d'apartheid commençait à se sentir coincé, sentant qu'il allait se trouver isolé comme entité de nature coloniale. Donc il tente d'inventer une pseudo-décolonisation interne en créant les bantoustans, les fameux bantoustans, qu'il appelait les homelands, pour les populations d'origine africaine. Ceci à partir de l'archipel des réserves qui avait été créé à l'époque coloniale. L'idée c'était de se débarasser des droits civiques pour les populations d'origine africaine, ainsi que de certains coûts sociaux, et puis de garder la possibilité d'exploiter la main d'œuvre tout en conservant les villes, le potentiel productif, y compris agricole, et les ressources minières. Neuf groupes ethniques sont distingués et une dizaine de homelands ont été bricolés à partir des réserves, avec quelques modifications de frontières, comme ça apparaît sur la carte qui vous montre un des ces homelands, pour tenter d'assurer un semblant de continuité territoriale ou moins de fragmentation pour des entités qui restent totalement dépendantes de l'Afrique du Sud. Il faut bien voir que ce système n'a jamais été reconnu au niveau international, ça a été un échec mais ça a eu des effets spatiaux supplémentaires qui viennent encore compliquer le modèle de la ville d'apartheid que je vous ai présenté. L'obligation de résidence dans les périmètres des bantoustans pour les candidats à l'exode rural et les familles qui étaient transférées de force à cette époque depuis certains townships a provoqué une urbanisation projetée aux frontières intérieures des bantoustans, c'est-à-dire au plus près des villes africaines, mais à la frontière des bantoustans, donc à l'intérieur du périmètre des bantoustans. Donc des fragments d'agglomérations, bien plus loin que les townships, se retrouvent donc fonctionnellement dépendants et faisant donc partie, si vous voulez, de la ville d'apartheid. Donc voilà le dispositif. Donc pour finir et au total, ce que l'on peut dire c'est que l'apartheid apparaît comme une ingénierie politique et territoriale, qui a systématisé les formes de séparation et de domination, en imposant violemment des catégories étanches et hiérarchisées en groupes humains, qui ont été matérialisées dans l'espace par des frontières, à toutes les échelles, au moins à trois échelles en tout cas. Et en associant ce dispositif à un contrôle étroit de la mobilité à des fins d'exploitation de la force de travail. Voilà, ceci sur des bases à la fois raciales et ethniques. [MUSIQUE]